SÉNÉGAL : Trois ans après la criminalisation de la loi sur le viol, entre espoir et désillusion

 Depuis le 10 janvier 2020, le viol et la pédophilie sont devenus des crimes au Sénégal. Mais cette nouvelle loi peine à être appliquée dans toute sa rigueur. 

CP: L'obs


Aïcha*, la vingtaine est une ressortissante de la sous-région résidant à Dakar. Elle est en attente de son procès contre son présumé violeur, un compatriote dont elle a fait la connaissance au cours d'une promenade. « Je l'ai rencontré au hasard dans la rue. Le moment de sympathiser, j'ai été prise de malaise. Il a brandi sa carte professionnelle, s'est fait passer pour un docteur et m'a proposé de me conduire chez lui. Il voulait m'aider et je l'ai cru », confie-t-elle. La jeune émigrée explique son étonnement lorsque « droguée », quelques heures après, elle se retrouve nue dans le lit du médecin « faussaire ». Accueillie depuis quelques mois par la Maison Rose, un centre d'assistance aux femmes et enfants en situation précaire, Aïcha a porté plainte après avoir appris sa grossesse. son bourreau a été arrêté et la date de son procès fixé. Ce qui n'est pas la démarche de toutes les victimes, estime Rose Faye, sociologue à la Maison Rose. « De nombreuses victimes ont beaucoup de mal à se confier ou à aller déposer plainte à cause de beaucoup de facteurs notamment culturels ». De son côté Madjiguène Mages Sarr, responsable de la communication à l'Association des juristes du Sénégal (Ajs) pense que ces violences sont de « plus en plus dénoncées ». D'après cette juriste, au Sénégal, « les femmes et les filles sont les plus touchées par les violences sexuelles avec une tranche d'âge variant de 3 à 40 ans et plus ». 

Peu de condamnations

Entre le 13 janvier 2020 et le 31 mars 2021, les chiffres reçus de douze tribunaux de grande instance - sur les quatorze que compte le Sénégal -, font état de 451 affaires relatives au viol et à la pédophilie. « Parmi ces dossiers, certains ont déjà été jugés et condamnés à des peines criminelles; alors que d’autres sont acquittés. Mais l’écrasante majorité reste encore pendante devant les tribunaux », avait révélé le directeur adjoint des affaires criminelles et des grâces du Sénégal, Alassane Ndiaye lors d'un entretien en 2021. Contactée à nouveau, la direction des grâces et des affaires criminelles n'a pas été en mesure de nous fournir les statistiques sur ces deux dernières années. De son côté l’association des juristes sénégalaises (Ajs), qui tient des centres d’écoute et d’assistance juridique à travers ses huit « boutiques de droits » a comptabilisé 1694 cas de violences dont 290 pour des faits de viol, entre janvier et décembre 2020. De plus, entre janvier et décembre 2021, les huit boutiques de droit de l'Ajs ont reçu et traité 346 cas de violences sexuelles, dont 267 cas de viol soit 77 % des cas de violences sexuelles. Pour l'année  2022, 424 cas de violences sexuelles, dont 333 cas de viol soit 79 % des cas de violences sexuelles, ont été répertoriés. Alors, cette criminalisation du viol a-t-elle permis de faire reculer les nombres de cas recensés au Sénégal ? « Globalement, on s’est rendu compte que le chiffre a baissé par rapport à ce qu’on recevait les années précédentes », avait répondu le magistrat et fonctionnaire au ministère de la justice, Alassane Ndiaye. Pour sa part Madjiguène Mages Sarr, pense que « la nouvelle loi sur le viol est une volonté sociale et apporte une touche au combat contre les violences avec des sanctions plus sévères ».

Une loi réformée sous le coup de « l’émotion » ?

L'article 320 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par menace contrainte et surprise ». Depuis la loi 2020-05 du 10 janvier 2020 modifiant la loi 65-60 du 21 juillet 1965 toutes les infractions liés au viol et à la pédophilie sont criminalisées, c'est-à-dire sanctionné de peine criminel à temps ou à perpétuité  (réclusion criminelle). 

Mais cette loi fait face à de nombreux défis, reconnaît Madjiguène Mages Sarr « comme toutes les autres lois, elle fait face, entre autres, aux pesanteurs socioculturelles, à l'application effective de la loi avec les mesures d’accompagnement, la dénonciation dans les meilleurs délais en vue d’un prélèvement à temps des éléments de preuve etc ».  

En effet, le processus de criminalisation du viol et de la pédophilie n’a pas trainé dans le circuit. Tout est parti de mai 2019. En une semaine, Coumba Yade, 16 ans, est violée et assassinée à Thiès. Bineta Camara, 23 ans, est assassinée à Tambacounda, dans l’est du Sénégal, après avoir été victime d’une tentative de viol. La même semaine, une autre femme a été assassinée et retrouvée nue au marché de Ouakam, un quartier de pêcheurs à Dakar. Des meurtres « crapuleux », qui ont eu le don de déclencher les revendications des organisations de défense des droits des femmes. Presque tous les mouvements féministes et de la société civile se sont alors regroupés en un seul collectif « Dafadoy » (trop c’est trop en français) pour demander la criminalisation du viol. 

Les coulisses de la promulgation

« Le concours de circonstances faisait que quelque chose devait se passer », admet Fatou Warkha Samb, vice-présidente de ce collectif. Et le président sénégalais Macky Sall n’a rien attendu pour actionner les services du ministère de la justice. En quelques mois, la procédure législative arrive à son terme. Le viol et la pédophilie sont désormais rangés dans la catégorie des infractions passibles de « réclusion criminelle ». « Au début nous ne demandions que la criminalisation du viol, cerise sur le gâteau, la pédophilie a été ajoutée », fait savoir Maimouna Makoar Diouf, responsable de la communication du réseau Siggil Jigéen, qui regroupe 18 organisations féministes. « La criminalisation intégrale du viol et de la pédophilie dénote de notre détermination commune d’assoir une société juste et sans violence », avait déclaré le président sénégalais le jour de la promulgation de la loi, le 10 janvier 2020. Cette rapidité d’exécution est reconnue par les mouvements féministes. « Toutes les lois qui ont été votées l’ont été à des moments opportuns. Par exemple, la loi sur les violences basées sur le genre a été promulgué en 1999 à quelques mois de l’élection présidentielle de 2000 au Sénégal », estime Maimouna Makoar Diouf.

Cette dernière d'expliquer que, « quand le premier draft du projet est sorti, les organisations de femmes ont lu le projet et se sont rendues compte qu’en réalité ça ne criminalisait pas le viol. Elles se sont donc regroupées avec le réseau des femmes parlementaires et les experts du ministère de la justice pour rebâtir la première mouture ». 

Ce qu’en pensent les relais communautaires

Depuis plusieurs années, celles qu’on surnomme « Bàjenu gox » jouent le rôle de régulatrices dans les quartiers. Ainsi, elles sont très souvent sollicitées dans les affaires de viol. C’est le cas d’Aminata Sy, relais communautaire et présidente au niveau départemental à Guediawaye. Aminata Sy, 62 ans et retraitée avoue, se retrouver plusieurs fois par an à dénoncer des cas de viol. « J’en reçois des dizaines de cas par an parfois c’est juste des échos qui me parviennent mais que je ne traite pas directement ». Depuis 2010, qu’elle a commencé cette activité de relais de la communauté, Aminata pense que le plus important pour combattre le viol et la pédophilie c’est de faire respecter la loi. « Une loi c’est important mais suivre son application à la rigueur l’est plus ». Femme engagée et dynamique, Aminata Sy regrette son époque quand ce phénomène était moins répandu à travers des astuces traditionnels d'éducation sexuelle. «  Avant, il y avait des moyens d’éduquer les filles à travers le « Ngonal » sortes de rencontres de l’après-midi) et les devinettes pour les prémunir ». Aujourd’hui, « nous devons prendre la place des Bajenu gox pour sensibiliser les jeunes filles face à ce phénomène. Nous sommes à une autre époque », estime la lycéenne Awa Ndiaye, présidente du club de jeunes filles Backa Sister Cred. « Notre club compte de nombreuses jeunes. Ensemble nous menons la sensibilisation. Quand un des nôtres subit un viol ou un acte inapproprié, c’est plus facile qu’elle se confie à une personne de sa génération donc ce club a toute son importance ». Face à ce phénomène et au choc de générations, la présidente des Bajenu gox au niveau départemental pense qu’il faut créer « des clubs de garçons » pour leur inculquer une éducation sexuelle. « De la même manière qu’on demande à la maman de s’ouvrir aux discussions avec sa fille, le papa doit aussi beaucoup discuter avec son garçon », conseille-t-elle. 

Des affaires polémiques

Plusieurs affaires ont suscité ces dernières années l'application de la loi sur le viol. Depuis février 2021, un cas de viol opposant deux citoyens sénégalais ne cesse de susciter la polémique : Adji Sarr, une employée d’un salon de massage à Dakar accusant de viol, l’opposant politique Ousmane Sonko. Le procès ne s'étant pas encore tenue, cette affaire aura pris des proportions politiques ayant entraîné plusieurs manifestations violentes et meurtrières. Une autre affaire de viol présumé qui, en  juin 2021 a agité le pays et les réseaux sociaux concerne le présumé viol, à Mbour, de Louise une élève qui accuse un camarade d'école d'avoir abusé d’elle. L’affaire a pris de l’ampleur, car l’accusé est le fils d’un journaliste sénégalais renommé qui avait lui-même été condamné à deux ans de prison pour viol, en 2013, mais qui avait bénéficié d’une liberté conditionnelle au bout de quinze mois de détention. Ce dernier évènement avait conduit à des manifestations à Dakar pour demander une meilleure application de la loi criminalisant le viol et la pédophilie.  En mars 2022, célèbre par ses sorties sur le net, l’influenceur sénégalais du nom de Kaliphone Sall était accusé de viol par une jeune fille. L'affaire Kaliphone-Adja Thiaré a été vidée le 14 octobre 2022. Un de moins parmi des milliers qui traînent dans des tiroirs.

 

 Marième Fatou Dramé

*Nom d'emprunt

 

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